Les deux précédentes parties (Question 1. Quels sont les besoins de la société civile en matière d’archives ? et Question 2. Comment l’archiviste donne-t-il accès aux archives ?) permettront d’aborder les besoins de la société en matière d’accès à l’information et les méthodes mises en œuvre par les archivistes pour les satisfaire. Cependant, ces parties révèlent déjà un certain nombre d’aspects contradictoires. La phrase déjà évoquée « tout le monde est pour la transparence sauf si elle s’applique à soi-même » résume une des tensions majeures inhérente à la transparence. On peut ajouter qu’elle s’applique autant aux personnes physiques qu’aux personnes morales.

Il s’agit d’un des problèmes fondamentaux du droit : articuler les droits des individus et des organisations entre eux dans le sens de l’intérêt général. C’est pourquoi, des lois et des règlements se sont emparés de la question de la transparence et de son pendant, la protection des secrets, pour proposer les modalités d’un équilibre. Ces textes créent un cadre normatif que l’archiviste contribue à mettre en œuvre.

Suivant une logique purement descriptive, cette troisième partie rappelle successivement les différents textes juridiques qui garantissent cet équilibre, ainsi que les institutions chargées de les faire appliquer. Plusieurs axes sont possibles pour aborder ces thématiques juridiques :

 

  1. En premier lieu, il serait intéressant de les réexpliquer, car ils demeurent parfois mal connus, tout autant que d’en mesurer l’application actuelle et d’en évoquer les évolutions en cours

a) Dans le secteur public, on pourrait revenir par exemple faire le bilan de l’exercice du droit d’accès par dérogation individuelle ou de l’emploi des dérogations générales d’accès anticipé aux archives publiques non-communicables en se demandant si ces dernières sont assez employées. On pourrait aussi revenir sur les évolutions annoncées de la législation sur la protection du secret de la Défense nationale.

b) Dans le secteur privé, il serait intéressant, entre autres, d’en savoir plus sur l’articulation entre la protection du secret des affaires découlant de la transposition en droit français de la directive UE du 8 juin 2016 et les législations protectrice de la liberté de la presse ou des lanceurs d’alerte.

2. En second lieu, il est nécessaire de débattre de leur pertinence et de leur adéquation avec les besoins de la société, afin de suggérer des évolutions souhaitables du droit.

a) Dans le secteur public, on pourrait par exemple interroger la pertinence des délais de communicabilité prévus à l’article L213-2 du code du patrimoine au regard des enjeux et des aspirations de la société d’aujourd’hui, tels qu’ils auront pu être explorés en réponse à la question posée par la première partie. On pense tout de suite à la catégorie des archives publiques incommunicables souvent dénoncée par les historiens depuis son apparitions en 2008, mais on pourrait se demander également si le délai de 50 ans est aujourd’hui suffisant pour protéger la vie privée des citoyens ou la sécurité de certaines installations sensibles dont les plans seront bientôt accessibles à tous.

b) De manière transverse, la jonction du public et du privé, on peut se demander si le droit d’auteur est toujours principalement protecteur du savoir ou au contraire un obstacle à la diffusion de l’information.

On pourrait aussi se demander si la distinction faite en droit administratif entre accès aux documents et réutilisations de leurs informations est toujours utile. Ce sont actuellement les usages des données qui déterminent le fait d’y accéder. Il devient de plus en plus en plus compliqué d’expliquer aux citoyens et entrepreneurs qu’accéder à un document ne permet pas forcément d’en faire ensuite ce qu’ils veulent. Dans le privé, l’absence de législation sur l’accès aux données implique que c’est déjà la question de l’usage qui prime.

L’ensemble des législations exposées ci-dessous, qui ont toutes leur rôle dans la transparence de notre société, pose une question plus profonde : la complexité du droit n’est-elle pas un obstacle à la transparence et, de facto, à la confiance des citoyens dans les institutions et organisations qui les entourent ? La complexité est un facteur d’inégalité d’accès, entre le néophyte et le sachant. C’est aussi un facteur de suspicion à l’encontre de tous ceux qui sont chargés de faire respecter un droit complexe, au premier rang desquels l’archiviste. Une confrontation des différentes visions des acteurs de la gestion de l’information et des citoyens serait particulièrement intéressante pour préciser le diagnostic. Mais des propositions de simplification de ce droit seraient également les bienvenues ou encore des initiatives visant à faciliter l’appropriation de ce droit, comme le projet d’application du Service interministériel des Archives de France pour connaître rapidement le régime de communicabilité de tel ou tel type de documents.

Des comparaisons internationales entre les différentes législations encadrant la transparence dans d’autres pays seraient éclairantes pour trouver des idées d’organisation juridique alternative.

 

Axe 3.1. Le droit de l’accès aux archives et de la diffusion des informations

Les textes : l’article 15 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; le code des relations entre le public et les administrations (CRPA) ; code du patrimoine (CdP) ; les dernières modifications de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

Les institutions : l’administration des archives de France, les services d’archives et les archivistes en général ; la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et les Personnes responsables de l’accès aux documents administratifs (PRADA) ; Etalab et les référents open data ; le Conseil d’État.

 

Axe 3.2. Les droits limitatifs de l’accès aux archives ou de la diffusion de l’information

a) La protection des secrets

– Les secrets d’État

Les textes : l’article L213-2 du code du patrimoine ; l’article L311-5 du code des relations entre le public et les administrations ; le code de la défense et l’arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l’instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale (dit aussi « IGI 1300 »).

Les institutions : l’administration des archives de France, les services d’archives et les archivistes en général ; le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ; la commission consultative du secret de la défense nationale.

– La protection de la vie privée et des données à caractère personnel

Les textes : l’article 9 du code civil ; l’article L213-2 du code du patrimoine ; l’article L311-6 du code des relations entre le public et les administrations ; la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et le règlement UE n° 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (dit « règlement général pour la protection des données » ou « RGPD »).

Les institutions : l’administration des archives de France, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), les correspondants Informatique et libertés (CIL) et bientôt les délégués à la protection des données à caractère personnel (plus couramment désignés en anglais comme « data protection officiers » ou DPO).

– La protection des secrets de l’activité économique (secret des affaires, secret industriel et commercial, secret bancaire)

Les textes : directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, article L213-2 du code du patrimoine, articles L511-33 et 34 du code monétaire et financier.

 

Cependant, sans pouvoir toutes les lister, il faut garder en tête que la protection de certains secrets est aussi portée par de très nombreuses législations propres à des secteurs spécifiques, qui ont échafaudé leur propre d’équilibre (patrimoine des élus[1], santé, statistiques, élections, conflits d’intérêt des élus et hauts fonctionnaires…).

 

b) Le droit d’auteur, contre le droit à la connaissance ?

Les textes : code de la propriété intellectuelle ; loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

Les institutions : la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) ; les sociétés de gestion des droits d’auteur.

 

Axe 3.3. Le droit de la confiance dans la sincérité des moyens du numérique

Ce pan du droit semblera d’un rapport plus distant avec le thème du forum. Cependant, comme on l’a évoqué dans la première partie, un des objectifs attendus de la transparence par la société est la recherche de la vérité qui implique la confiance dans les réseaux d’outils et d’acteurs qui aboutissent à la production et à la conservation d’une information probante et intègre.

La question de la pertinence d’une protection de la propriété des données s’inscrit également dans cette thématique : l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2015 dans l’affaire « Bluetouff »[2] a été vu à la fois comme un moyen de protéger les données des organisations et comme une limite de l’accès à l’information. Une question similaire se pose avec les réflexions autour de la création d’un droit de propriété des citoyens sur leurs données à caractère personnel. Chose méconnue, la propriété des données n’est reconnue que pour la personne publique, par l’intermédiaire de la notion d’« archives publiques », au croisement des dispositions du livre II du code du patrimoine et du code général de la propriété des personnes publiques.

Les textes : règlement (UE) n ° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 dit « eIDAS[3] » sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, directive (UE) 2016/1148 du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2016 dit « NIS » concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes d’information dans l’Union, CRPA, ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, référentiel général de sécurité, législation sur les accès frauduleux dans les systèmes de traitement automatisé des données (STAD), législation sur les opérateurs d’importance vitale.

Les institutions : l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information (AESRI) (ENISA selon l’acronyme en anglais), l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).

 

Je me lance et je lis les informations pratiques avant de proposer une communication ou un atelier !

 

[1] Ce cas fournit un exemple intéressant d’équilibre entre transparence et respect de la vie privée, appuyé sur la position centrale de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui dispose de pouvoirs de vérification.

[2] Cass. Crim. 20 mai 2015, n°14-81.336 [en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030635061].

[3] « e(lectronic) IDentification And Services ».