
La session « Pour une archivistique plus responsable » était présidée par Thi Phuong NGUYEN, conseillère experte en conservation préventive et curative au service interministériel des Archives de France.
La session a été ouverte par la présidente avec une citation de Hans Jonas sur la responsabilité des actes de chacun, l’appliquant au métier de l’archiviste. Cette responsabilité a été développée dans deux interventions : la première de Pierre Fuzeau, expert et co-fondateur de la Serda et la deuxième co-animée par Anne-Laure Donzel, consultante Datactivist, et Julien Benedetti, archiviste à Koalab.
Etat de l’art pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la préservation des données. Pierre Fuzeau.
La société Serda-Archimag est une perma-entreprise (<permaculture) dont les modalités d’engagement et de gouvernance sont : le bien-être pour la planète, le bien-être pour l’humain et la redistribution des richesses. Elle aide les services à gérer leur empreinte carbone, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
En France, la réduction de l’empreinte carbone est réglementée par : la loi REEN de 2021 qui responsabilise les acteurs du numérique, les critère RSE obligatoires dans les appels d’offre des acteurs numériques à partir d’août 2026, et la Directive européenne CSRD [Corporate Sustainability Reporting Directive] de janvier 2024. Le XIVe rapport sur la gouvernance de l’information et particulièrement les chiffres sur l’empreinte carbone des archives rendent compte de l’avancée du bilan et des solutions mises en place : 71% des services déclarent vouloir réduire leur empreinte carbone, mais seulement 6% ont mis en place des solutions. Elles passent par la réduction des impacts dus aux déplacements (23%), celle du papier (50%), celle de l’énergie dépensée (38%), le renforcement de la digitalisation (36%), le tri de l’espace de stockage (42%). Actuellement, l’impact du numérique sur les émissions en France est de 4,4%, elle passera à 45% en 2030 si rien n’est fait, mais pourrait diminuer de 16% en encadrant les émissions du numérique.
En 2021, la Serda a collaboré avec la coopérative Carbone La Rochelle afin de construire des clefs pour calculer le bilan carbone du cycle de vie des archives. L’estimation s’appuie sur le modèle Carbone 4 et la base Empreinte de l’ADEME, et classent par catégorie les dépenses internes du service, ainsi que les dépenses externes liées au service (par exemple l’appel à un prestataire extérieur). L’estimation s’appuie aussi sur la méthodologie à valeurs haute/basse qui prend en compte l’archivage papier/électronique et court/long, les variables des matériels, leur durabilité et leur recyclage, ainsi que la marge d’incertitude modifiée en fonction des archives conservées. Concernant la réduction carbone de l’archivage électronique, il est conseillé de mettre en place une décommission d’application, un archivage à froid, de trier le vrac informatique, de réduire les choix de formats et de mutualiser les SAE.
Et quid de l’IA pour du numérique éco-responsable ? Pierre Fuzeau insiste sur le rôle de l’archiviste pour une gestion d’IA responsable. Se tourner vers des fonds d’archives avec des données ROT [redondantes, obsolètes ou triviales] viables pour nourrir les modèle de langage de grande taille (LLM), permet de réduire l’impact de l’IA et d’améliorer la précision des réponses.
Une fois l’empreinte carbone réduite au maximum, il est possible et recommandé de participer à des projets de plantation de forêt pour une réduction carbone 0.
Il faut que tout bouge pour que rien ne change. Julien Benedetti, Anne-Laure Donzel.
Les intervenants associent le domaine des archives au terme d’infrastructure, particulièrement travaillé dans la recherche archivistique anglo-saxonne. Selon eux l’infrastructure est par définition invisible, englobant une superstructure matérielle, faisant partie d’un grand tout, et occupant une fonction spéciale corrélée. L’infrastructure de la connaissance, dont le mot-clef est la maintenance, « l’art de définir les choses », correspond donc à l’archivage, en particulier les archives numériques.
En France la vision des archives comme une infrastructure en tant que telle n’est pas encore développée ; dans les rapports annuels du SIAF (2000-2023), le terme d’infrastructure est associé aux systèmes informatiques ainsi qu’aux bâtiments physiques des services.
Cependant les archives numériques peuvent être vues comme une infrastructure intellectuelle liée aux normes et référentiels, comme une infrastructure physique liée aux bâtiments, aux datacenters et moyens humains, et comme une infrastructure informationnelle pour la fourniture d’informations en mettant en place un environnement spécifique. Deux éléments caractérisent cette infrastructure : sa durabilité et sa stabilité dans le temps, et sa fragilité qui doit être prise en compte et anticipée. Il s’agit de mettre en place une maintenance, c’est-à-dire des notions de soins et d’attention pour les archives et tout ce qui gravite autour. Attention, la réparation d’une faille dans l’infrastructure n’est pas de la maintenance, c’est un défaut de maintenance.
Julien Benedetti approfondit le fonctionnement de la maintenance pour les archives numériques tout en questionnant le rôle de l’archiviste, notamment ses compétences numériques. Il lui semble important de valoriser la technicité de l’archiviste, de développer ses compétences afin d’éviter de devenir dépendant d’un outil numérique ou d’un prestataire externe et entretenir une faille dans l’infrastructure. Il est cependant important pour l’archiviste de s’intégrer à la structure, de créer une interopérabilité entre les infrastructures et les communautés pour une meilleur communication de l’information. L’exemple de la mise à jour de la base de donnée Léonore et les changements des identifiants des infrastructures de Wikipédia et Wikidata ayant causé beaucoup d’indisponibilités de lien démontre que la dimension relationnelle entre ses infrastructures n’a pas été anticipée.
Billet rédigé par Mila François et Louna Parquic