Pour les personnes qui seraient déjà arrivées à Rennes le 25 mars en fin de journée, nous vous proposons une conférence citoyenne, ouverte à tous.tes, inscrits au Forum ou non.
Elle se déroulera de 18H30 à 20H, en salle de la cité, 10 Rue Saint-Louis, 35000 Rennes.
Les archives coloniales : un trésor pour construire une mémoire apaisée des français descendants esclaves
Par le Professeur Serge Romana, Président de la Fondation Esclavage et Réconciliation
Depuis plus de trente ans, des bénévoles associatifs explorent les archives coloniales pour retrouver l’identité des hommes et des femmes victimes de l’esclavage en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique. Leur objectif est d’identifier les ancêtres des Français descendants d’esclaves et de transmettre cette mémoire à leurs descendants.
Ces identités retrouvées sont mises en valeur à travers des livres, des monuments en région parisienne, en Guadeloupe et en Guyane. Ces lieux de mémoire honorent les esclaves, notamment lors du 23 mai, journée nationale d’hommage aux victimes de l’esclavage colonial. Par ailleurs, chaque descendant d’esclaves peut aujourd’hui retrouver ses aïeux d’un simple clic sur le site anchoukaj.org. Enfin, le 23 mai 2026, il est prévu d’inaugurer le Mémorial National des Victimes de l’Esclavage Colonial dans les jardins du Trocadéro à Paris.
Tout cela n’aurait pas été possible sans l’existence des nombreuses archives coloniales, longtemps restées confinées à un cercle restreint d’historiens.
C’est en 2006 que le Comité Marche du 23 Mai (CM98), une association mémorielle œuvrant pour la reconnaissance de la mémoire des victimes de l’esclavage, découvre aux Archives nationales à Paris les registres des nouveaux libres de la Guadeloupe. Ces documents contiennent les actes de nomination des 87 500 hommes et femmes encore esclaves en Guadeloupe au moment de l’abolition. À l’époque, les esclaves ne portaient qu’un prénom, parfois un surnom. Après l’abolition, il fut décidé de leur attribuer un nom de famille, une mission confiée aux officiers d’état civil durant près de vingt ans. Un travail similaire est réalisé avec les registres d’individualités de la Martinique, ainsi que ceux de la Guyane et de La Réunion, par d’autres associations mémorielles. Ces noms, aujourd’hui portés par la majorité des Antillais, Guyanais et Réunionnais, font de ces registres un lien fondamental entre la période esclavagiste et l’ère post-abolition, permettant aux descendants de retrouver leurs aïeux.
Lorsque les registres de certaines villes ont été détruits, une méthodologie a été mise en place pour les reconstituer en exploitant d’autres sources d’archives.
Ainsi, des bases de données ont été créées à partir :
- des actes d’affranchissement (1826-1848), consignés dans les comptes rendus du conseil du gouverneur de la Guadeloupe et les registres d’état civil,
- des registres d’esclaves (1840-1848),
- des actes notariés (1810-1848) mentionnant des esclaves,
- des actes de naissance, mariage et décès (1848-1905).
Toutes ces informations, numérisées grâce au fabuleux travail des ANOM, ont été intégrées dans un outil numérique, formant une base de données quasi exhaustive des nouveaux libres des quatre anciennes colonies françaises. C’est cette base qui servira à la construction du Mémorial du Trocadéro.
L’esclavage colonial a créé des sociétés « sans passé ». Jusqu’à la fin des années 2000, la grande majorité des descendants d’esclaves ignorait l’origine de son nom et n’avait aucun lien avec ses ancêtres esclaves, entraînant une errance identitaire aux conséquences délétères pour l’avenir de ces sociétés.
Le travail des archivistes de l’époque coloniale nous a permis de retrouver nos aïeux et de mettre en place des dispositifs pour leur rendre hommage, tels que le Mémorial National, inversant ainsi la honte de l’origine servile.
En 1848, un archiviste retranscrit dans le registre des nouveaux libres les actes suivants, délivrés le 14 septembre 1848, à une jeune femme venue avec son fils dans les bras devant le maire de la ville du Moule pour qu’il leur donne un nom de famille :
« Juliette, âgée de trente ans, née à Sainte-Anne, demeurant au Moule, immatriculée sous le n° 5322.
Volange Charles, âgé de deux ans, né et demeurant au Moule, immatriculé sous le n° 9812.
La dite Juliette nous ayant déclaré reconnaître pour son fils le dit Volange Charles, nous leur avons attribué à tous les deux le nom patronymique de ROMANA. »
Aujourd’hui, je remercie cet archiviste anonyme et tous ceux qui ont ensuite préservé ces archives : en sortant Juliette et Charles Volange de l’ombre, ils m’ont offert la sérénité d’une identité apaisée.
Serge Romana est un généticien d’origine guadeloupéenne. Professeur de médecine, il dirige le service de Médecine génomique des maladies rares de l’enfant à l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris.
Parallèlement à sa carrière médicale, il s’engage activement dans la défense de la mémoire des victimes de l’esclavage colonial. Le 23 mai 1998, il dirige l’organisation d’une marche silencieuse rassemblant 40 000 personnes dans les rues de Paris en hommage aux victimes de l’esclavage colonial. Cet événement contribue à l’adoption de la loi Taubira, qui reconnaît l’esclavage colonial comme un crime contre l’humanité.
À la suite de cette marche, il fonde le Comité Marche du 23 mai 1998 (CM98), dont l’objectif est d’inverser la valence du stigmate de l’esclave. Dans ce cadre, il lance en 2006 l’opération Anchoukaj (affiliation), un vaste projet mobilisant des centaines de bénévoles pour retrouver, à travers des recherches approfondies dans les archives, l’identité des esclaves de la Guadeloupe et de la Martinique.
L’action du CM98, articulée autour d’un triptyque—Retrouver (opération Anchoukaj), Comprendre (via son université populaire) et Honorer (chaque 23 mai)—aboutit à la reconnaissance officielle du 23 mai comme Journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial en France.
En 2017, Serge Romana démissionne de la présidence du CM98 pour se consacrer à la Fondation Esclavage et Réconciliation, qu’il préside. Cette fondation œuvre à construire une mémoire apaisée de l’esclavage et à promouvoir la réconciliation entre les différentes composantes de la société française. Tout au long de sa vie, Serge Romana a œuvré pour que l’histoire de l’esclavage soit reconnue et intégrée dans la mémoire collective, tout en poursuivant une carrière médicale dédiée aux maladies génétiques rares chez l’enfant.