Aurore François, professeure en méthodologie de l’histoire et archivistique à l’université catholique de Louvain, présidait une session intitulée « Archives des mobilisations, mobilisation des archives ».

Dans un premier temps, Magalie Moysan, maîtresse de conférences en archivistique, et Anne Fablet-Rogéré, maîtresse de conférences en management, toutes deux à l’Université d’Angers, nous ont présenté leur récente étude auprès du Conservatoire des espaces naturels (CEN) des Pays-de-la-Loire dans une intervention intitulée « De la conservation de la nature à l’attention aux archives : usages d’archives dans le développement de l’expertise des associations de protection de l’environnement ». Cette étude a été menée dans le cadre du programme pluridisciplinaire Archivex, qui mêle management et archivistique. Celui-ci vise à développer une expertise par les archives au sein des associations de protection de l’environnement. Il interroge le rôle des archives comme vectrices et facteurs d’amplification de l’expertise individuelle, constituant en ce sens une approche originale. Elles ont basé leur étude sur des entretiens afin de déterminer les champs d’expertise, les usages et typologies des archives au sein du CEN. Quatre expertises individuelles sont ressorties de leur travail : l’expertise naturaliste, juridique, relationnelle et documentaire. Chaque acteur.e du CEN mobilise une expertise individuelle au service de la légitimité organisationnelle. Les expertises du CEN circulent donc à l’intérieur même de la structure, mais des interactions permettent de partager lesdites expertises avec d’autres acteurs. En ce sens, une bonne gestion des documents est primordiale. Cette gestion est répartie en trois espaces : une base de données nommée Géonature, un espace partagé et une salle d’archives pour les documents papier. Ces espaces ont toutefois des degrés d’attention variables. La base de données permet en effet de gérer collectivement les espaces de biodiversité et de conserver un historique des travaux. L’espace partagé est quant à lui moins utilisé et sont préférés les échanges par mail et le partage guidé, par crainte d’une mauvaise réutilisation ou encore de suppression accidentelle de documents. Enfin, Magalie Moysan constate une rupture d’usage concernant les archives papier due à une rupture spatiale. En conclusion, il en ressort que la base de donnée est survalorisée par rapport à d’autres archives s’inscrivant dans un phénomène de datafication.
La deuxième intervention intitulée « Faire attention aux archives de leur vivant », a été présentée par Sam Bourcier du centre d’archives LGBTQIA+ de Paris, maître de conférences à l’Université de Lille en gender studies. Partant du thème de l’attention, il introduit son intervention par un questionnement principal : pourquoi et comment faire attention aux archives communautaires ? Ainsi, il rappelle après Foucault que les archives sont historiquement vectrices de rapports de pouvoir, et ont participé au XIXe siècle à la naissance de différentes conceptions pathologisantes des minorités, participant de ce qu’on peut nommer une histoire de la violence. Se replaçant dans le contexte actuel, il alerte sur les dérives néolibérales et fascistes incarnant aujourd’hui cette violence. Il parle alors de capitalisme numérique de contrôle, l’archive étant également une manière de déposséder et de classifier les individus dans leurs corps, ce qui inclut l’archive dans sa dimension biopolitique, déjà décrite par Foucault. Ainsi, il explique comment le centre d’archives LGBTQIA+ de Paris procède afin de repenser le rapport à l’archive vivante et ses usages. Il met alors en avant plusieurs formes d’attention : épistémologique, hyperdémocratique, l’itérabilité et la non séparation des supports, l’accessibilité et la remise en circulation, dans un souci de ne pas séparer les archives des corps qui les ont produit. En pratique, ces différents points se traduisent par plusieurs initiatives : des ateliers ouverts, des podcasts, un ciné-club hors les murs, des entretiens oraux en dehors d’un cadre chrono-bionormatif. En conclusion, Sam Bourcier défend la nature de l’auto-archive et l’archive collective contre la datafication du monde et le pouvoir archival, afin de libérer les corps et les espaces du pouvoir biopolitique de l’archive.
Billet rédigé par Simon Bocher, Iris Charriou et Mathilde Jamot, master Archives de l’université d’Angers